Il est des voyages, surtout aujourd’hui, qui se font dans le cœur. C’est dans un de ceux-là que nous
embarque le guitariste et compositeur Patricio Cadena Pérez avec son nouvel album « Argentina,
Che ». Entre patrimoine et transmission, il nous propose un parcours novateur, personnel et solide,
autour de la musique argentine.
Il s’agit de rencontres, d’influences mêlées, du contact entre la rue et le conservatoire, la danse et le
chant. Les frères Núñez par exemple, dont la grande « Del 55 » conclut l’album de Cadena Pérez,
composaient leurs pièces dans la joyeuse animation des rues de l’ouest portègne où ils fréquentaient
Mercedes Sosa. La chanteuse argentine interpréta la Zamba para olvidar, La Tempranera, Pedacito
de Cielo, Déjame que me vaya, ou encore le très populaire Alfonsina y el mar. Ces airs composés pour
être chantés, dansés et ressentis, expriment la vaste palette d’émotions d’un peuple à l’histoire rude
et résiliente. Sosa, représentante de la « nueva canción», éprise de liberté, exilée en Espagne, est
contemporaine d’Astor Piazzola, qui a joué avec Miguel Caló, a été élève à Paris de Nadia Boulanger
et fondateur, plus tard, du « nuevo tango ».
Ces connexions tissent comme un hamac de soutien au foisonnement musical argentin de la seconde
moitié du vingtième siècle. Les influences intercontinentales viennent renforcer la richesse interne
du pays, qui, des Andes à la mer, regorge lui-même de sonorités, d’atmosphères, de techniques et
d’histoires diverses. L’équatorien Patricio Cadena Pérez est l’héritier de cette tradition de la
transmission. Il agit avec les pièces de cet album à la manière de ses maîtres et prédécesseurs. Il
ajoute ce qu’il est, et sans rien abimer ni dénaturer, et apporte une nuance supplémentaire à l’œuvre
qu’il travaille. Les arrangements sont ici tous de lui, et s’inscrivent dans la lignée de l’histoire de la
musique sud-américaine. Ils mêlent habilement finesse du geste, densité du rythme, musique
urbaine et souvenir intime du folklore. La justesse à la fois de l’intention et de l’interprétation de
Cadena Pérez donne à l’ensemble une très belle unité qui en fait un objet vivant tout à fait
intéressant.
« Argentina, Che » ne se contente pas d’interpeller, avec la familiarité d’un ami, un pays ou une
histoire de la musique que l’on convoquerait pour les contempler. Cet album est animé et actuel, et
nous désigne une musique animée et actuelle. Il a un sens propre pour Patricio Cadena Pérez qui
souhaite ici nous transmettre, entre nostalgie et espérance, un peu de lui. Si les musiciens sont
actuellement isolés et silencieux pour leur public, on sent, dans cet album bâti en 2020, une
intériorité et une recherche qui ne peuvent qu’inviter au partage, en dépit de tout. Cadena Pérez se
fait une nouvelle fois le passeur réussi d’une musique plus grande que l’Homme, qui touche le cœur.
« Argentina, Che » est un voyage innovant que l’on fait avec le cœur, donc, et qui réconforte
d’universalité.
